« Vous qui entrez, abandonnez toute espérance »
Dante Alighieri
C’est par cette phrase que devrait commencer ce jeu qui évoque au sein d’une expérience vidéoludique le cheminement thérapeutique pour sortir d’un traumatisme.
Tout d’abord, il y a le déni.
Un oubli subtil, mais tellement capital que toute la ligne de vie en est perturbée. C’est ce qui fera écrire à notre héroïne, Sélène, dans son journal de bord :
« Sélène Vassos veut que sa vie ait un sens »
De cet oubli se créait une construction psychique pour combler le vide. Un élément périphérique au traumatisme qui vient donner du sens à son existence.
Au commencement, il y a eu le crash.

La navette spatiale de Sélène s’écrase sur une planète inconnue du nom d’Atropos (les moires du destin dans la mythologie grecque). Avec comme indication : « approche interdite. Identification du signal : ombre blanche. »
Cette ombre blanche, Sélène va la traquer à travers un univers futuriste et mythique peuplé de colosse de pierre inanimé et de créature de chair redoutable. Problème de taille : Sélène est bloqué dans une boucle temporelle. À chaque mort, elle revient à son point d’origine : le crash de sa navette spatiale !
À l’image d’un traumatisme, Sélène revit encore et encore cet évènement par flash, faisant tout pour le dépasser, l’oublier. Cependant, ce n’est qu’en l’explorant qu’elle parviendra à dépasser ce problème récurrent.
En explorant ce monde, elle découvre qu’une maison regorge de souvenir, ses souvenirs. Au fur et à mesure de l’aventure, des choses se révéleront dans cette maison pour montrer que le monde qu’elle perçoit n’est que le reflet de son psychisme. Celui-ci même qui a été brisé par le traumatisme et le déni, la plongeant dans un univers effrayant dont elle tente tant bien que mal de sortir tout en essayant de fuir ce qui crée ses angoisses. Pour reprendre ses mots :
« Les « délires » ? Non, ils sont là pour m’aider à garder mon équilibre. J’ai fait d’énormes progrès. Qu’est-ce qu’ils espèrent trouver, tous ? S’ils tentent de m’éclairer, ils verront à chaque fois les ténèbres auxquelles ils s’attendent ! »
Cette phrase est capitale pour comprendre l’état de résignation dans laquelle Sélène plonge progressivement.
Au fur & à mesure, de son exploration, un astronaute de l’époque d’Apollo 11 la rejoindra dans ses cauchemars, comme une ombre omniprésente et « jugeante ». Cette ombre apparaître a de nombreux moments l’observant dans la pénombre et disparaissant dès que Sélène tente de s’approcher. (les mémos de Sélène sont découvert à travers des journaux de reconnaissances tout au long de l’histoire).

Journal de reconnaissance 007 :
« Il y a quelqu’un d’autre ici. Un astronaute, mais c’est impossible. Est-ce qu’il me guide ? Ou est-ce qu’il…me suit ? Il me rappelle les vieilles photos que me montrait ma mère, le genre de combinaison qu’elle aurait porté, sans l’accident. »
Cet accident est ce qui vient enraciné le traumatisme de Sélène. Un accident de voiture sur un pont, où la voiture conduite par sa mère Théia (nom de la mère de Sélène (la lune) dans la mythologie grecque) a basculé dans la rivière. Cet accident endommagera la colonne vertébrale de Théia, emportant avec cela, son destin prometteur dans la conquête de l’espace et emprisonnera Sélène dans une dette personnelle : celle de rendre fière sa mère.
Journal de reconnaissance 024 : Dette à payer :
« La femme qui était censée poser le pied sur la surface d’un autre monde, c’était maman. Je pensais qu’elle serait fière de me voir suivre ses…les traces qu’elle aurait laissées si elle en avait eu l’opportunité. Est-ce pour ça que je suis ici ? Pour aller où elle n’a pas pu ? Revoir cette maison…j’ai l’impression qu’elle me juge encore. »
Ce besoin de réparer ce qui n’a pu être fait, à l’image du film « black swan » développant le relationnel entre une mère frustrée de ne pas avoir pu réussir dans la danse et projetant cette quête de réussir dans une maltraitance abusive envers sa fille, se retrouve dans le relationnel présenté ici. Sélène va alors tout faire pour prouver à sa mère, sa compétence. Dans la vraie vie, ces tentatives seront réduites à néant par un refus dans les postes convoités et par l’absence de sa mère dans son éducation.
Xenoglyphe 13 : « Le regret fut noyé ici avec un souvenir refoulé de fauteuil roulant qui attend à la fin. »
Mais dans son imaginaire elle redoublera d’efforts et ainsi affrontant sa peur (Phrike en grec), surmontant les peurs de son ego (Ixion est un personnage de la mythologie grecque qui, par égocentrisme et avarice, a refusé de donner son dû suite à son mariage et a convoité la femme de Zeus, Héra, le précipitant aux supplices éternels), et dépassant le jugement négatif qu’elle a sur elle (Némésis est la déesse grecque de la vengeance et de la justice), Sélène parviendra à gravir la montagne, défendue par des hordes d’ennemies, et à envoyer un signal de détresse dans son imaginaire afin que des secours viennent la rechercher.
De retour sur Terre, Sélène reprendra alors sa vie sereine pouvant enfin s’extraire de cette planète aux atours de purgatoire. De même dans un traumatisme, les personnes arrivent à s’extraire de cela en recommençant une vie différente qui les sort de toutes les choses qui leur feront penser à leur passé. Mais ceci n’est qu’une fuite.
Cependant… La mort arrivant, Sélène sera repris par la culpabilité associée au traumatisme passé et ainsi retournera dans la boucle temporelle, au moment du crash. Il est temps pour elle d’aller chercher dans les profondeurs, le moyen de sortir de cet enfer. Le destin (Atropos) lui joue des tours et elle est déterminée à mettre un terme à ce qui tire les ficelles dans l’ombre.
Journal de reconnaissance 036 : « Mon ancien vaisseau inanimé renvoie à travers les siècles, dans un silence absolu, ces mots exacts : « le choix et les conséquences pourraient s’être inversés. » Le cycle a été allongé, mais il reste éternel. Tourment sans fin. La planète cache des secrets, tout comme l’astronaute, ma maison, moi-même, sans compter le temps. Je les arracherais tous, gémissant d’une obscure blessure. »
Là commence tout le réel travail thérapeutique. Trouver les racines du trauma, « l’obscure blessure », retourner dedans pour l’exorciser. Ainsi ce qui est imprimé sera enfin exprimé. Sélène va alors parcourir à nouveau ce monde changé par le temps, pour cette fois-ci plonger dans les abysses. Cette traversée va lui faire retrouver la mémoire sur le fameux crash.
Pour faire cela, Sélène va devoir tuer la musique qui résonne dans sa tête. La musique jouée par son père Hypérion : « don’t fear the reaper » à l’orgue. Cette musique est la représentation des voix qui nous disent que faire, quoi faire, et qui nous empêchent de toucher la nature même du trauma et ainsi de pouvoir espérer l’exorciser. Une fois que la musique s’est tue. Sélène va pouvoir plonger dans l’abîme.

Journal de reconnaissance 039 : nouvel objectif
« Je ne pensais pas en être capable après tout ce temps, mais la musique s’est tue. Je veux enregistrer ces mots tant que je me sens…équilibrée. Maintenant que la musique est partie, je perçois une antique pulsation au centre du monde. La conscience collective a découvert quelque chose dans ces profondeurs. Ce qu’ils ont exhumé me retient peut-être prisonnière dans le cycle. Je dois aller plus loin. C’est là que la vérité m’attend. »
Cette conscience collective est son inconscient qui lui chuchote la solution à cet irréductible problème. À l’image de la sagesse gnostique, c’est dans les ténèbres que se cache le salut. Comme dirait Hippolyte de Rome (IIIe siècles de notre ère) sur la tradition gnostique des premiers âges : « l’obscurité tient en esclavage l’éclat et l’étincelle de la lumière » (cité dans mysterium conjonctionis p.83 de C.G.Jung) ou encore « cette toute petite étincelle est mélangée d’une manière subtile aux eaux sombres d’en bas » (Réfutation de toutes les hérésies, Hippolyte de Rome). Comme le disait Carl Gustav Jung : « La base du moi est l’obscurité de la psyché » (Mysterium conjunctionis p.151). C’est pour cela que Sélène va plonger dans ses profondeurs.
Journal de reconnaissance 56 : « Les étoiles sous les abysses sont les chants des sirènes auxquels je choisis d’obéir. […] Accroche-toi, mon soleil. »
Cette quête va la mener dans les profondeurs de son psychisme à la recherche de ce qui a été perdu. Et au prix d’une traversée éprouvante, elle tombera nez à nez face à la créature anguipède (=qui finit en queue de serpent) Ophion (titan de la mythologie grecque banni dans les profondeurs océaniques). Le serpent dans la tradition gnostique, tantrique et chrétienne est le gardien de la connaissance secrète, de l’invisible. Dans les mythes primordiaux du paléolithique supérieur, le serpent est le gardien des eaux d’en bas, de l’au-delà. C’est lui qui protège la vie et qui nourrit la vie (l’eau et la mort) (J. d’Huy, cosmogonie). C’est pour ça que Sélène dira dans le dernier flashback au sein de la maison : « Nous devons mourir pour vivre. ». Une fois ce protecteur vaincu, Sélène accédera enfin à la révélation qui a mis fin à sa vie sociale et fait débuter sa plongée dans la folie : Un accident de voiture malencontreux sur un pont comme dans le passé avec sa mère. La boucle temporelle prend tout son sens à ce moment-là. Sélène au volant, avec son fils Hélios à l’arrière, alors plongée dans ses pensées, voit l’apparition d’un astronaute d’Apollo 11 (en hallucination?) ce qui lui fait dévier de sa route et tomber dans le lac en contrebas. Son fils meurt dans l’accident, mais pas Sélène qui rongée par la culpabilité entre dans la folie de cette univers astral, où elle abandonne Hélios (le nom de son vaisseau et aussi celui de son fils à chaque début de cycle). La dernière chose que Sélène aura entendu de son fils juste avant l’accident est: « As-tu vu l’ombre blanche? ». Message qui restera gravé dans sa mémoire et lui permettra de partir en quête.
Xénoglyphe 16 : « Ombre blanche ignorant l’inévitable. Cette fois, j’agis sans penser et tends la main vers l’enfant perdu. Ma négligence est la raison de ma présence ici. Les ombres noires vacillantes de ma culpabilité prennent la forme d’un astronaute qui est devenu le placenta cosmique. »
Ainsi Sélène comprend que ce qui a tué son fils : c’est sa fascination pour le destin professionnel tragique de sa mère qu’elle a tenté de réparer, mais n’a fait que négliger sa propre vie dans ce processus. Et ainsi en évitant de « tuer » (d’écraser avec la voiture dans son hallucination) sa propre mère, elle a sacrifié sa vie et celle de son enfant par négligence. Il faut parfois extraire les désirs des autres pour créer sa propre vie.

Fin du déni, début de la thérapie.
Suite à cette révélation, Sélène va parcourir une nouvelle fois ses délires intérieurs afin de trouver 6 fragments de soleil et de les reformer. Cette « étincelle dans les eaux sombres d’en bas » lui permettra de retrouver le courage d’accepter ce qui s’est passé, d’accepter toute cette souffrance et de commencer à penser que cela peut finir.
Journal de reconnaissance 067 : « 9 cercles dans la Géhenne (enfer biblique), 29 à Helheim (enfer nordique), 264 dans le Tartare (enfer grec). Les derniers s’ouvraient à l’intérieur de moi. Cela peut désormais finir, car cela a commencé. »
Dans une dynamique thérapeutique, ce n’est qu’en acceptant les profondeurs de cette souffrance et de ses actions que la rédemption apparaît.
Derrière ces mots empreints de religiosité se cache un processus d’acceptation et de réengagement dans ses valeurs personnelles qui peut permettre de transformer le traumatisme en une solution pour sa vie. À l’image de Sélène, ce traumatisme lui a permis de comprendre ses projections envers sa mère et d’y mettre fin pour accepter d’avoir fait une erreur, et ainsi de recommencer à prendre sa vie en main.