La dette commune une idéologie antédiluvienne ?

Inventé en 1170 à Venise, la dette commune est devenue une norme mondiale avec la France qui dépasse les 121% d’endettement en cette année (2020). Bien que présent depuis, la nuit des temps (en mésopotomie, les archéologues ont retrouvé de nombreuses traces écrites de certificats de dettes retrouvées sur les tablettes en cunéiforme), la notion de dettes a pris de plus en plus d’importance.

Mais qu’est-ce qui motive cette course à la croissance continuelle qui motive l’endettement ?

Pour revenir sur ce concept d’endettement, il faut revenir à une hypothèse mise en place par Cheikh Anta Diop et repris par Gimbutas plus tard :

Les peuples ont dû s’adapter au climat. Les peuples du nord étaient soumis au permafrost de la glaciation de Würm qui faisait des températures annuelles situé entre -25° à 9°C (Boneless archéologie, 2020) en -10.000 en France. Comme dans un long hiver, les arbres et la végétation ne faisant pas de fruit, la chasse était le seul moyen de subvenir à ses besoins. Ainsi les peuples nomades ou semi-nomades devaient donner des ressources aux chasseurs afin d’espérer les voir revenir les mains remplis de viandes fraiches. Les chasseurs devaient aussi être performant car de leur réussite dépendait la survie du village. Symboliquement, le village s’endettait pour espérer voir leur endettement valorisé par un retour de nourriture.

Glaciation en -10.000

La pratique du commerce triangulaire lancé au XVIe siècles est similaire à cela : S’endetter pour construire des bateaux et espérer récupérer plus que leur endettement pour s’enrichir. Ceci est toujours d’actualité pour tous les investissements immobiliers ou autres, où la banque propose un endettement aux particuliers pour acquérir un immeuble de rapport qui leur rapportera plus que leur dette initiale. Il y a toujours la logique de l’appât du gain où l’on s’endette pour espérer un lendemain meilleur.

L’idée d’Anta Diop est que les peuples du nord se sont construits sur cette logique par rapport aux peuples du sud. Ces derniers, facilités par la vie et le climat clément, n’ont pas nécessairement dû faire des efforts et s’endetter pour survivre car la nature est prospère dans les zones chaudes. Ainsi la philosophie de l’effort est moins présente dans les zones tropicales.

Cette philosophie de l’effort se retrouve dans la bible, Génèse 3 :19 : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière ». On peut comprendre que cette philosophie ait facilement été adopté en occident, car similaire à une logique antédiluvienne pour les peuples du nord.

Le mythe même du Jardin d’Eden pourrait métaphoriquement faire penser aux migrations préhistoriques de l’homme : d’une terre fertile et luxuriante (zone tropical) l’homme à la recherche de nourriture et de paysage (peut-être) est allé s’exporter dans les zones du nord, il y a 70.000 ans. Surpris par les changements climatiques de la glaciation de Würm (débuté il y a 100.000 ans), il a dû s’adapter et passer d’un mode de nourriture de subsistance aisé à un mode lié à l’effort et la confrontation au climat de plus en plus hostile. Cette chute symbolique du jardin d’Eden, cette punition tombée des cieux (changement climatique), a pu forger une idéologie encore présente en nous : celle de l’effort, du coût, de l’endettement pour espérer un jour meilleur.

Le jardin d’Eden de Rubens (1628)

Le mythe biblique évoque la cause de cette chute : avoir croqué la pomme de l’arbre de la connaissance qui pourrait symboliquement expliquer que la curiosité de l’homme à comprendre et découvrir son monde serait la cause de sa perdition.

Nietzsche propose l’idée que cette culpabilité originelle (le mot dette et culpabilité est le même en allemand: Schuld) a permis à l’homme de s’élever au-delà de son fonctionnement animal (dans le jardin d’Eden) en le dotant d’une mémoire (Philo mag n°54). Ce point commun entre les mots dette et culpabilité montre un parallèle flagrant entre le christianisme et la logique capitaliste actuelle. Alors que le christianisme inscrit une histoire de l’humanité comme suit: Culpabilité => pénitence => baptême => Paradis. Le capitalisme définit l’accès au paradis (matérielle) de la façon suivante : Dette => Travail => Vie meilleure/paradisiaque. Ainsi nous sommes passé d’une logique morale (dans le christianisme) à une logique matérielle (dans le capitalisme) sans pour autant en changer la logique. Comme l’évoquait Lavoisier et Anaxagore avant lui: « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

Cette philosophie de vie de la recherche d’un mieux continuel a amené la logique de rechercher à l’extérieur les solutions, plutôt que de se contenter des choses que l’on a autour de soi et en soi. Ce qui est bien sûr l’engrais de notre société capitaliste actuelle. Comme l’évoque Ivan Illich, dans son livre convivialité, la société de productivité est une société qui cultive le manque. Cette société du manque a donné naissance à notre logique consumériste. La recherche compulsive de stock mise en place lors du COVID n’est qu’une reviviscence de cela.

Tchouang-Tseu (p.158) évoque cette quête inébranlable des passions de la façon suivante : « L’esprit de l’homme est ainsi fait que toute pression l’opprime & que toute incitation l’exalte. Opprimé, il devient prisonnier, exalté, il devient féroce. […] C’est pourquoi il est dit : « anéantissez la sagesse, rejetez le savoir, le monde retrouvera l’ordre. ». »

Ce savoir conformant aurait pour effet selon Michel Foucault (« Les mots et les choses ») « la mort de l’homme », l’homme en tant que sujet vivant.

Que ce soit pour Tchouang-Tseu ou pour la Bible l’idée serait de ne pas manger le fruit défendu, car celui-ci modèle notre vision du monde et influe sur nos passions.

Ainsi, ne serait-il pas temps de « cueillir le jour » ?

Poète Horace, (22 av JC) : Odes, I, 11 :

« Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir, quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ; et n’interroge pas les Nombres Babyloniens. Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive ! Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers, ou que celui-ci soit le dernier, qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables, sois sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie. Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit.     
Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain. »

Ce carpe diem est une ode à l’instant présent. Orient ou occident prêche la même philosophie, une corde émet la musique la plus somptueuse lorsqu’elle n’est ni trop ni pas assez tendu. A chacun de nous de trouver cette juste limite dans nos passions pour sans arrêt pouvoir cueillir ce jour sans trop ni pas assez…

Référence :

Anta Diop : Civilisation ou barbarie.

Boneless archéologie, 2020 : https://www.youtube.com/watch?v=pOK2iE-So58

Foucault, M. (1966). Les mots et les choses. Ed: Gallimard.

Guimbutas : The Indo-Europeanization of Europe: the intrusion of steppe pastoralists from south Russia and the transformation of Old Europe

Philosophie Magazine n°54, nov 2011, article: comment l’occident a inventé la dette.

Tchouang-Tseu, 2004, Philosophie Taoistes : Œuvres complètes XI.

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